L'heure était venue pour les jours de se réchauffer et pour les fleurs d'éclore. Cela faisait deux mois déjà que les cerisiers balançaient au vent leur parure rose. Puis étaient venus les pétales des pêchers, moins attendus et pourtant tout aussi beaux et délicats.
Shania aimait cette saison. Elle aimait l'air chaud encore traversé de brises rafraîchissantes, les arbres nonchalants sous le soleil mais encore mouillés quelquefois par la pluie. Les grosses gouttes qui tombaient des arbres une fois l'averse passée.
Il avait plu hier. Une petite giboulée tardive - peut-on parler de giboulée au Japon ? Shania était enchantée par ce climat, après ces deux ans et demi passés au-dessus du cercle polaire. Oh, bien sûr, elle aimait la neige, elle supportait le froid - elle avait grandi en Russie après tout ! Mais, même si elle n'avait jamais aimé le soleil, comme en témoignait sa peau pâle, ça ne lui faisait pas de mal de sentir enfin ses rayons sur son corps.
Elle eut une pensée émue pour Tromso, où elle aurait pensé passer la saison. La neige avait dû commencer à fondre doucement. Elle prenait son temps. Le midnight sun n'allait pas tarder, aussi. A partir du mois prochain, le soleil ne se coucherait plus.
Elle eu un pincement au cœur. Finalement, peut-être que cela lui manquait. Et puis, hier, c'était son anniversaire, et il n'y avait eu personne pour le lui souhaiter. Personne qui la connaisse, ici. Qui sache qui elle était. Bien sûr, elle avait toujours eu du mal à se faire de vrais amis - mais elle avait en contrepartie une foule de connaissances superficielles prête à la gâter.
Cette année, finalement, alors qu'elle se serait cru enfin parmi les siens, elle se sentait plus seule que jamais. Mais c'était aussi sa faute, n'est-ce pas ? Il suffisait d'ouvrir les yeux. Autour d'elle, dans l'écrin de ce printemps florissant, d'autres élèves avaient choisi de profiter des faveurs du climat. Pourquoi donc restait-elle solitaire ? Les gens ici étaient prêts à lui parler, n'est-ce pas ?
Elle chercha des yeux Kakyo, comme pour se rassurer. Bien sûr, il n'était pas là. Cela faisait deux jours qu'il n'était pas reparu - même lui l'avait abandonnée pour son anniversaire. Et, le connaissant, il choisirait bien sûr le plus mauvais moment pour se manifester. Mais quoi, après tout ? Elle n'avait pas besoin de lui. C'était bien le monde des humains, dans lequel elle vivait, dans lequel elle devait vivre.
Elle aspira une profonde bouffée d'air chargé de fleurs, lança un sourire au bleu limpide du ciel, et s'approcha d'un élève qui observait pensivement les plate-bandes.

- Ca fait du bien, un temps pareil, n'est-ce pas ?

La pluie et le beau temps. Bravo, elle venait de gagner le prix de l'engagement de conversation le plus pourri de l'année. Mais c'était toujours ça, n'est-ce pas ?