« Bon sang. Mais ils sont où ces œufs de Pâques ? J’ai beau les chercher depuis je sais pas combien de minutes dans cette forêt complètement trop bizarre je trouve rien. Nada. Que dalle. Il faudrait que je me clone pour réussir à les trouver plus rapidement… »

Je me relève, non sans mal, comme une vielle mémé, soupirant bruyamment. Je balaye vaguement du regard les zones environnantes et à vue d’œil, comme ça, j’aperçois pas grand-chose. Alors je me balade un peu, laissant mon regard glisser de droite à gauche, puis de gauche à droite, puis un peu vers l’arrière, histoire de vérifier que j’ai rien loupé… Et soudain, mon pied droit accroche quelque chose, je perds mon équilibre, je flanche vers l’avant, la tête la première.

« MOUUUCH… Bwordwel !»

Enervée, je tourne rapidement ma tête vers le fautif et à ma plus grande surprise, découvre des jambes, puis des fesses, puis un buste, puis des cheveux roux.

« HE ! Ça va pas de te mettre en travers de la route !? »

Minute. Et moi qui voulais des larbins pour m’aider à chercher des œufs, il vient juste de m’en tomber un sous la main, là. MOUHAHAHA. Je me relève, me décrasse les mains, lui souris et rectifie bien vite ce que je viens de lui dire.

« Hé, t’as entendu cette histoire d’œufs de Pâques, non ? Ca te dirait de les chercher à deux ? On ira bien plus vite comme ça. »

A nous les oeufs !

Je la regarde se lever, les yeux pleins de malice et baisse mon regard sur la main qu’elle me tend.

« Moi c’est Muzuki, et toi ?
- Appelle-moi Eden ! »

Je lui empoigne la main tout en souriant joyeusement. Une paire de yeux en plus pour chercher ces foutus œufs qui vont peut-être me rapporter gros, c’est inespéré et pas refusable. Et puis, je l’aime bien cette fille. Je sais pas si c’est son regard confiant ou sa chevelure flamboyante qui me donne cette impression, mais je l’aime bien. Je croise les bras et balaye les environs du regard.

« T’as cherché où déjà ? Parce que tout le périmètre derrière toi, je l’ai fouillé et j’ai rien trouvé, à croire qu’y a pas d’œufs dans cette forêt… »

Je me retourne, tout en faisant mine de jauger les zones environnantes. Je baisse les yeux sur mon jean noir et le décrasse un peu plus. Je déteste vraiment la nature. C’est crade et c’est rempli d’insectes.

« Ça te dit de partir sur la gauche ? Je le sens bien, moi. »

Je pointe du pouce la direction et enfonce ma main gauche dans ma poche de jean, ça me donne un air cool. Il fait de plus en plus sombre vers cette partie-là de la forêt mais justement, plus c’est sombre, plus c’est susceptible d’y trouver des œufs.

A nous les oeufs !

Si ça fait longtemps que je suis ici ? Oh que oui. Depuis bien trop longtemps même. Le temps que je passe à Hayasaki me semble être une éternité. J’ai qu’une seule envie, celle de retrouver le bon air d’Angleterre, celle de retrouver l’odeur familière de notre chez nous, celle de fouler du pied le sol propre et lumineux de ma chère Angleterre. Les gens ne se rendent pas compte à quel point c’est dur de quitter une endroit qui nous tient à cœur, un endroit dans lequel on a tout construit, on a tout vécu, non, ils ne savent pas. Il pense que j’aime pas le Japon, que j’aime pas les japonais. Mais non, c’est pas ça, pas ça du tout. Y a des gens sympas ici, des gens qui viennent du même pays que moi, des gens que j’aurais jamais connu en étant restée dans mon pays natal, des gens comme cette rousse-là.

« Ouais. Trois ans. Je connais Hayasaki comme ma poche maintenant. Enfin, presque. Parce que cette forêt-là, je l’avais jamais vraiment visité avant. Et toi, t’es là depuis combien de temps ? Et… est-ce que tu fais partie de ces « gens-là » ? »

Je la dévisage, tout en faisant la moue en prononçant mes derniers mots. Ce qui m’étonnera toujours à Hayasaki, c’est ces phénomènes pas compréhensibles qui se déroulent chaque jour. Takumi en est le meilleur exemple. Il essaie de me convaincre de l’existence des « esprits » mais honnêtement, j’ai encore du mal à y croire. Je reste sceptique. Ca m’étonnerait pas qu’on nous révèle demain qu’en réalité c’est des machinations scientifiques, des tests qui ont mal tournés et que du coup, tous ces tests mal foutus ont été enfermés ici, à Hayasaki et qu’on a camouflé ça sous Middle Garden. N’importe quelle explication mais sûrement pas une d’origine surnaturelle. Et puis quoi encore après ? Je soupire bruyamment et remonte les manches bleues de mon hoobie, histoire d’avoir moins chaud. C’est que la marche, ça donne des sueurs.

A nous les oeufs !

Alors c’était une de ces « personnes-là ». En apparence, ils ont rien de différents par rapport à nous autres. Vraiment rien. C’est pas quelque chose dans le physique, ça se voit pas, ça se sent pas, ça se touche pas, ça s’entend pas et c’est sûrement ça le plus dérangeant. Savoir qu’il y a quelque chose, une présence, une sorte d’entité qui existe, qui vous regarde, observe chacun de vos gestes et mouvements, y a de quoi rendre paranoïaque un fragile d’esprit. Mais je suis pas vraiment de cette trempe-là. Ca ne me fait pas atrocement peur, ça m’intrigue seulement. Je relève pas vraiment le ton désagréable qu’elle a employé pour me répondre et continue de marcher d’un air désinvolte, les mains dans mes poches jusqu’à ce qu’elle s’arrête soudainement pour proposer d’aller voir dans les arbres.

« Les arbres ? Hmm. C’est pas bête du tout, ça. »

Je m’approche de l’arbre le plus proche de nous et pose ma main sur le tronc tout en levant le menton vers le ciel.

« Mais ouais, c’est vachement haut quand même... »

Je baisse la tête et examine le tronc de l’arbre. Son diamètre est moyen, ni trop fin ni assez large. Généralement, on grimpe mieux sur les arbres aux troncs forts, je le sais bien, j’avais l’habitude d’en grimper quand j’étais petite. Pendant que les autres petites filles de mon âge jouaient à la poupée ou à la marelle, moi je montais aux arbres pour manger des glaces en regardant l’horizon ; et plus c’était haut, plus c’était excitant. Mais à présent, je suis pas sûre d’être aussi agile qu’avant. D’autant plus qu’il y a pas vraiment de creux sur l’écorce pour que je puisse m’y accrocher un minimum.

« Ecoute, j’essaie de monter sur celui-là et puis, on avisera après. »

Mes mains font chercher le plus point sur le tronc tandis que mon pied droit s’y engage en premier, je prends mon élan en sautillant sur mon autre pied et dès que je suis prête, je monte. Je tombe pas. J’ai trouvé de bons appuis. Le problème, c’est que j’utilise beaucoup trop d’énergie pour me maintenir sur l’arbre. Alors très vite, je vais cherche d’autres appuis, main droite en avant, main gauche, puis pied droit, craquement d’un bout de l’écorce, je chute.

« Ouuuch… Ca va, ça va. J’ai pas mal… Mais ça va vraiment être dur de grimper sur un tronc pareil… »

Je me relève bien vite et me décrasse rapidement les vêtements en lorgnant le sommet du végétal tout en soupirant. Je le savais… Comment y arriver ? Si seulement il y avait des embouts qui ressortaient du tronc, comme sur un mur d’escalade, ça serait tellement plus simple, bon sang. Mais… Minute. Je crois que j’ai une idée. Je me tourne vers Mizuki, les yeux pleins d’espoir et le sourire malicieux et lui demande :

« T’aurais pas un objet tranchant pour creuser des petits trous ou un truc du genre ? »